Emeutes à Lhassa
Le fait que les autres boutiques de la rue aient baissé le rideau de fer ne m'inquiete pas. J'ai déja assisté à une scene du genre a Bombay, pour protester contre l'assassinat d'un prêtre dans un temple. Je me dis qu'ici ils doivent aussi faire une sorte de greve.
Le temps de manger, et de remonter un peu la rue pour voir ce qui se passe, je me retrouve plongé en pleine action. Dans la rue, il y a plusieurs attroupements. Tout le monde reste comme cela, à regarder la rue sans circulation, paisiblement. De temps en temps, tout le monde se met à japper et aboyer, et a courir pour aller se réfugier dans les artères donnant sur la rue principale. Si tout le monde court, c'est pour ne pas se prendre accidentellement une pierre jetée par ceux d'en face.
J'ai ainsi assisté en une heure à une dizaine de lynchages et de rixes, parfois par un groupe de 20 tibétains poursuivant et passant a tabac un chinois. Les scooters récupérés sont placés au milieu de la rue et incendiés. Rapidement, le nombre de buchers augmente. Le nombre de personnes dans les rues aussi. La tension monte encore d'un cran, et vient le moment de s'attaquer aux boutiques chinoises : quelques minutes suffisent pour défoncer leur rideau de fer et bruler leur contenu au milieu de la rue. Ambiance guerre civile.
Moi, je redescent prudemment vers l'hotel, en empruntant les dédales de rues parallèles. De temps en temps je suis obligé de continuer mon chemin sur cette avenue principale, jusqu'a arriver à un point limite ou je ne peux plus progresser : le bout de la rue, situé à moins de 150 mètres, est bloqué.
A peu près au même moment, à 200 mètres de là, les 23 autres touristes avec lequel je suis venu au Tibet sont tous réunis à l'hotel. Cet hotel finit par se retrouver en première ligne : des pavés sont lancés sur le toit et contre sa facade, blessant un touriste au visage. Le batiment d'en face s'enflamme, une voiture garée juste à coté est incendiée. La fumée degagée gagne l'établissement : on croit que l'hotel prend feu, c'est la panique. C'est d'autant plus la panique que tout le monde se demande ou est le French guy. On parle d'évacuation, certains veulent partir tout de suite, d'autre veulent attendre qu'on m'ai retrouvé, on se demande si je ne suis pas mort.
Elles m'expliquent que les tibétains ont perdu tous leurs temples, et qu'en perdant leurs temples ils perdent leur histoire. Notre culture est transmise oralement, et les seuls a archiver et concerver par écrit tout ce qui constitue le peuple tibétain sont les moines, dans les monasteres. En détruisant les temples et en assassinant/emprisonant les moines, les chinois nous détruisent. Ils ont détruit plus de 1000 monasteres, et tout leur contenu a auparavant été pillé et se trouve maintenant hors du Tibet, en Chine.
Ils nous enseignent comment devenir riche, pour eux le business est ce qu'il a de le plus important. Mais pour nous le plus important c'est la religion. Ce n'est pas dans notre mentalite d'être riche, parce que cela veut dire qu'on prend trop d'argent aux autres, et dans notre culture, les autres sont plus importants que soi meme. Les tibetains sont certes content d'avoir de meilleurs vetements, mais la chose vraiment importante est la religion. On ne veut pas être riches, on veut être libres.
Ma premiere impression en arrivant a Lhassa a été la surprise : c'est une ville tres moderne et développée. Tout semble neuf, nouvellement construit. Et c'est le cas : la ville a été entierement transformée depuis 10 ans. Il y reigne une atmosphere de ville high tech sortie de nulle part. Les chinois construisent de belles routes, ils se vantent dans leur propagante de depenser beaucoup d'argent pour les tibétains. Mais ils ne disent pas qu'ils nous prennent aussi tout ce qu'on possede. Chaque année des milliers de touristes payent tres cher les entrées de nos monasteres, et tout cet argent vas aux chinois.
Dans Lhassa, la plupart des boutiques sont tenues par des chinois, qui arbitrent donc le marché de l'emploi. En particulier, un critere important pour avoir un emploi est de parler chinois. Si on apprend le Chinois, on peut avoir un bon emploi et un bon salaire. Mais ils n'aiment pas qu'on parle anglais. C'est un probleme pour ceux qui reviennent d'Inde et y ont appris l'anglais : il leur est difficile d'avoir un boulot. Du coup, beaucoup de tibetains ont du apprendre le chinois. Mais on ne sait que le parler, pas le lire.
Maintenant, dans Lhassa, la majorité des gens sont chinois. Partout, il n'y a que des chinois. Et avec le controle des natalités, on ne peut avoir qu'un ou deux enfants maximum, sinon il faut payer au gouvernement. Eux, ils arrivent chaque année par dizaines de milliers. On a le sentiment d'être ensevelis.
Tout ce qu'ils construisent, c'est dans le style chinois. A la télévision, des spots nous encouragent a construire de nouvelles maisons, en nous disant qu'en retour on percevra de l'argent. Mais ce sont des mensonges, on touche moins d'argent que ce qui est annoncé, et ils racontent ensuite que ce sont les chinois qui financent et construisent nos maisons, et qu'il faut donc être reconnaissant envers eux et les respecter. On est très en colère contre ca aussi.
Je leur demande si elles ont des amis chinois : aucune des cinq filles n'en n'a. Les tibétains et les chinois ne se mélangent pas. On reconnait les chinois à leurs visages et aussi leur facon de s'habiller.
Dans un restaurant dans la rue, il y a un tibetain si tu le vois tu vas te dire qu'il est stupide. Mais avant, quand il était jeune, il était tres brillant, tres cultivé, et tres doué pour la peinture. Un jour il s'est fait prendre par la police parce qu'il paignait un drapeau tibétain. Il a été en prison pendant 13 ans. Il y a subit un lavage de cerveau, et a été torturé a l'électricité. Il en est ressorti complètement abruti, et ne se souvient plus de rien.
Les tibétains se méfient des chinois, ils ont peur d'être dénoncés. Le gouvernement appelle a la délation, et on trouve de plus en plus de caméras. Dans les temples en particulier, on a eu l'occasion d'en voir beaucoup. C'est comme cela qu'ils controlent ce qui se passe dans les monasteres, et que ces lieux sont devenus dangereux pour les tibetains, et plus particulierement les moines qui y vivent.
Avant de partir, je leur demande ce qu'elles pensent du fait que nous, les touristes, devions payer grassement le gouvernement chinois pour venir au Tibet depuis le Nepal. Il faut en effet acheter un package aupres d'une agence specialisée, et l'ensemble coute plus de $400. En consequences, la visite du Tibet depuis le Népal est sujette a controverse. Cela ne nous pose pas de probleme, on est content de voir des touristes.
La volonte des tibétains a être libres est donc toujours aussi forte, peut être meme plus depuis l'accélération de la colonisation chinoise ces dernieres années. Dans un meme pays, dans une meme ville, il y a clairement deux catégories de personnes qui se cotoient mais ne se mélangent pas. La méfiance et la colere refoulée prédominent dans les relations sociales. Le gouvernement chinois dénonce la mort de chinois innocents. Et c'est vrai : les chinois lynchés et ceux dont les boutiques ont été saccagées étaient peut être des gens remarquables. Mais en assistant à ce déchainement populaire, j'ai compris que dans ce genre de situations il n'y a plus de gentil et plus de méchants. C'est Tibétain contre Chinois. Ces chinois victimes des Tibétains sont aussi victimes de la politique de leur propre gouvernement. Les Tibétains esperent bien que les chinois auront maintenant peur de venir s'installer au Tibet.
Le calme revenu, j'ai traversé la rue, en ayant au préalable mis dans ma poche la carte memoire de mon appareil photo. Ma principale crainte durant tout ce temps était en effet de me faire saisir mes photos et qu'elles servent a identifier des manifestants. En arrivant a l'hotel, je suis surpris de voir que son entrée a été saccagée, je pensais pas que les émeutes etaient allaient jsuque la. Je monte dans ma chambre, et je constate que toutes mes affaires ont été rangées dans mon sac. Le sac de celui qui partage ma chambre n'est pas la. Je me dis qu'ils ont été evacués.
J'avais l'impression d'avoir fait un safari photo : traverser plus de 1100 Km d'un pays sans pouvoir ressentir un peu ce qui s'y passe (la barriere de la langue est aussi une raison). Alors pouvoir ainsi vivre et discuter du coeur du probleme, j'étais vraiment heureux, et me considerais extremement chanceux.
Aujourd'hui on a du attendre l'escorte de police toute la matinée, en consequences j'ai raté mon train. On a tout de meme pu bouger cet apres-midi et prendre un nouveau ticket. Demain matin, la moitié d'entre nous quittons Lhassa via 36 heures de train. Je me dépeche ce soir de rédiger ce billet. Je ne peux pas vraiment me relire ni meme verifier certains liens que je donne. En particulier ceux sur wikipedia, car ce site (et beaucoup d'autres) est censuré en Chine. De meme, si je peux rédiger mon blog, il m'est impossible de visualiser le resultat en ligne. Désole donc si c'est un peu brouillon.